Quelques réflexions d'après élections…
Après le temps de l'action, voici venu le temps de l'analyse de cette longue séquence électorale. Bien évidemment, ces quelques réflexions ne visent pas l'exhaustivité mais à poser ce qui, selon moi, est d’importance, mérite débat et qui va être essentiel pour la suite.
Tout d'abord, il faut revenir sur le résultat de l’élection présidentielle. Avec 11% des voix, le Front de gauche réalise un
très bon résultat. Evidemment, au regard des sondages qui ont pu nous donner jusqu'à 18%, il y a pu avoir une forme de déception. Je me suis déjà exprimé pour analyser ce résultat, je n'y reviens pas. J'ajoute cependant 2 choses.
La première, c'est que, pour analyser une course, il faut regarder ce que nous avons parcouru depuis la ligne de départ.
D'où partions-nous ? De 10 ans de pouvoir de droite, de 2 présidentielles catastrophiques pour la gauche de transformation
sociale et écologique, éparpillée, réduite à des combats de nains et à l'absence d'un résultat à 2 chiffres pour un candidat à la gauche du PS depuis 1981.
1981 !! Rendez-vous compte ! J'avais 8 ans, un nombre considérable de camarades qui nous ont rejoints dans
cette campagne n'étaient même pas nés et considèrent cette période comme une période quasiment préhistorique. Mais, même si l'on ne veut pas remonter à l'ère paléolithique, il faut tout de même
noter que, lorsque nous avons commencé notre campagne présidentielle, les discussions que nous avions portaient sur la possibilité de dépasser les 5%. Avec 11%, nous mettons un
terme à 30 ans sous la barre des 10%. Ce n’est pas rien.
La deuxième chose que j'ajoute, c'est que, pris dans une dynamique de campagne extraordinaire, nous avons rehaussé nos
ambitions régulièrement, jusqu'à penser que le second tour était à notre portée. Il faut d'ailleurs faire notre mea culpa : nous nous sommes attachés plus que de raison aux sondages, même lorsque
ceux-ci, dans les 15 derniers jours, montraient un fléchissement qui préfigurait notre résultat final. Cela doit nous servir de leçon.
Alors, certes, la déception a pu être à la hauteur de l'espoir que nous avons placé dans notre résultat mais, dans le même
temps, ces ambitions continuellement revues à la hausse nous ont permis de mener une campagne présidentielle exceptionnelle. D'ailleurs, au-delà du résultat final, il faut apprécier ce que nous
avons réussi à faire bouger dans l'opinion, le nombre de celles et ceux que nous avons interpellé et qui ont rejoint la campagne, le Front de gauche et les partis le constituant. Pour la période
qui s'ouvre, c'est un point d'appui décisif.
Les résultats des élections législatives sont plus contrastés. Avec 7% des suffrages, nous dépassons les 5%, ce qui n’était
pas arrivé depuis 1997 mais, nous perdons plusieurs de nos députés, ce qui est un comble alors que nous progressons partout.
Et nous progressons en pourcentage et en voix sur toute la France. Le Front de gauche confirme ainsi sa
place incontournable comme deuxième force de gauche. Il paye, mais confirme aussi, son indépendance vis-à-vis du Parti Socialiste, sa liberté de parole et de propositions. Nous
payons au prix fort l'inversion du calendrier et le scrutin majoritaire.
C'est d'ailleurs une situation qui devrait interroger tous les démocrates que de voir des forces politiques qui progressent et qui n'ont pas de représentation à l'assemblée nationale à la hauteur de ce qu'il pèse dans la société française. Cela vaut aussi pour le Front National. Car si le système électoral lui ferme, de moins en moins, les portes de la représentation nationale, cela ne l'empêche pas, au contraire, de voir progresser ses idées.
On ne règle jamais une question politique par une solution technique. C'est donc sur le terrain politique et non pas par le biais d'institutions empêchant la diversité politique de s'exprimer qu'il faut combattre le Front National.
C'est ce que nous avons fait, bien seul, durant ces deux campagnes.
Il nous faut maintenant essayer de comprendre pourquoi plus de la moitié des 4 millions d'électrices et d'électeurs qui ont
voté pour Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle n'ont pas jugé nécessaire, indispensable, utile de voter pour les candidats du Front de gauche aux élections législatives. Là non plus, je
ne viserai pas l'exhaustivité. Je m'arrêterai sur un point qui, me semble-t-il, peut faire débat au sein du Front de gauche.
Je pense que, nationalement, nous n'avons pas su clairement nous situer par rapport à la nouvelle majorité qui arrivait.
Notre positionnement a été perçu comme un « ni-ni », ni opposition, ni majorité, entraînant une confusion sur notre volonté
dans une période où la clarté était de rigueur. Cela ne correspondait certainement pas à la volonté de la majorité des Françaises et des Français de tourner efficacement la page de 10 ans de
droite et de 5 ans de Sarkozysme. Nous n'avons pas su, pas pu montrer que nous voulions être des acteurs décisifs du changement mais d'un changement réel, en rupture avec le dogme libéral et qui
réponde aux aspirations de nos concitoyens.
Être des acteurs décisifs du changement, cela passe par voter toutes les mesures qui vont dans le bon sens en les poussant le
plus loin possible pour répondre le plus efficacement possible aux aspirations des Françaises et des Français mais cela passe aussi par alerter et s'opposer aux mesures contraires à cet immense
besoin de changement exprimé par le peuple français. Nous n’avons pas réussi à rendre ce positionnement compréhensible.
Je crois qu’il faut poursuivre cette réflexion et bien analyser la situation issue des élections présidentielle et législatives. Il faut prendre la mesure de cet immense besoin de changement et de ce qu’il a produit durant ces 2 campagnes et de ce qu’il va continuer de produire. Car, le besoin de changement, ce n’est pas un concept abstrait détaché de la réalité quotidienne, c’est le besoin que cela change sur les salaires, sur la précarité, sur l’emploi, bref que la vie change. Ce besoin de changement va se heurter (c’est déjà fait avec l’augmentation du SMIC ou la question européenne) à la « real politik » sociale libérale.
Par conséquent, comment travailler à la réussite du changement tout en n’entretenant aucune illusion sur l’orientation
actuelle du PS et sur la nécessité des mesures que nous proposons pour sortir de la crise ? Le Front de gauche va devoir s’atteler à répondre à cette question.
Il va aussi devoir s’atteler à la question des médias. Le traitement médiatique des 2 élections peut être légitimement
interrogé et quant à celui qui nous été réservé, il a été particulièrement scandaleux. Beaucoup de choses ont déjà été écrites. Je renvoie d'ailleurs au site d'ACRIMED qui effectue depuis de nombreuses années un décryptage très intéressant des médias.
Pour ma part, je voudrai revenir sur 3 choses :
La première, c'est que nous avons eu droit durant ces deux campagnes électorales à une apothéose de la Doxa libérale. Répété
sur tous les tons, sur toutes les chaînes de télévision, dans toutes les radios et pratiquement dans tous les journaux mis à part l'Humanité et Politis, on nous a expliqué que « ce n'était
pas possible » de penser et d'agir autrement que comme les marchés financiers, la commission européenne, le FMI, l'OMC, j'en passe et des meilleurs.
Et l'on a vu une poignée de journalistes, experts et commentateurs, toujours les mêmes, truster les différents plateaux de
télévisions, de radios, les colonnes des journaux et expliquer que "tout le monde sait bien" qu'il faudra faire des efforts pour payer la dette, que si les grecs étaient dans cette situation,
c'était parce qu'ils ne payaient pas d'impôts, qu'augmenter les salaires était une hérésie, qu'il ne fallait pas toucher à la finance puisque "nous sommes dans un monde ouvert" etc… bref, pour
théoriser jusqu’à plus soif la résignation.
Jamais, jamais, sur aucune chaîne, on a invité un expert partageant notre point de vue. Nos idées, notre courant de pensée
n'a jamais été représenté, pas plus qu'il ne l'est aujourd'hui, dans aucune de ces émissions destinées à faire réfléchir soi-disant, en toute impartialité sur la situation économique et sociale,
sur la campagne, pour informer et éclairer le choix des citoyens.
Le problème, c'est que cet éclairage a toujours été orienté dans le même sens : à droite. Nous avons fait partie de ces
minorités quasi invisibles dans les médias : les femmes, les citoyen-nes d'origine immigrée, les ouvriers, les « pauvres » etc… Si j'osais, je dirais que pour passer à la télévision, il vaut
mieux être un homme, blanc et de tendance (néo ou social) libéral.
Il faut comprendre combien est méprisante cette "non-existence" médiatique.
Mais il y a eu bien plus difficile à supporter dans cette campagne du côté des médias. C'est le trait d'égalité tiré entre le
Front de gauche et le Front national. Avant d'être mené entre les 2 tours de l'élection législative par les barons de l'UMP, ce sont d'abord les journalistes de la presse dite de « gauche » qui
ont commencé.
Souvenons-nous du dessin de Plantu à la Une de l'Express faisant lire à Jean-Luc Mélenchon la même feuille que Marine Le Pen
avec le même décor, un brassard au bras et intitulé "l'ascension des néo-populismes". La seule différence entre les 2 personnages, c'est que Marine Le Pen était présentée souriante.
Cette assimilation entre le FN et nous, quand elle vient de la droite, est dans le combat politique. Elle est ignoble mais
dans le combat politique.
Ce n'est plus du tout la même chose lorsque ce sont des journalistes qui la formule. La parole médiatique est perçue
différemment, reflétant la réalité, plutôt qu'une vérité.
Pour moi, dont la source de l'engagement au sein du Parti Communiste a été l'antiracisme, l'antifascisme, cette assimilation
a été insultante, offensante et blessante. Tout notre engagement est à l'opposé de ce qu'est et a été le Front national. On peut d'ailleurs se poser la question de l’objectif visé derrière cette
opération consistant à confondre le Front de gauche et le FN.
Enfin, dans l'insupportable comportement médiatique, nous avons eu les mêmes qui se relayaient de plateau en plateau pour
expliquer que l'augmentation du SMIC serait une catastrophe économique.
Ils sont d'ailleurs revenus ces jours-ci pour nous refaire le même numéro.
Sans honte, ces experts gagnant 10 fois, 20 fois le smic viennent expliquer qu'une augmentation de 2% mettra en péril l'économie, que les entreprise pourront à peine le supporter, sans aucune considération pour les millions de salarié-e-s dont 80% de femmes qui gagnent 1100€/mois, voire moins quand ils ou elles ne sont pas à temps complet, ce qui est le cas pour beaucoup.
La palme du mépris revient à Jean-Michel Apathie, journaliste multicartes, officiant sur RTL et Canal +, qui a montré toute
sa morgue dans une confrontation avec Dupont-Aignan. A l'interpellation de celui-ci sur le montant de son salaire, reniflant de mépris, il indiquait qu'il méritait son salaire, comme si le
smicard méritait lui aussi la médiocrité de son salaire...
Si l’abstention doit interroger les partis politiques, elle doit aussi interroger les médias car, comme écrivait Bossuet, "On
ne peut s'affliger des conséquences tout en s'accommodant des causes. "